Quand on arrive en ville

| "Les villes sont moches à Maurice

Voilà une affirmation que j'ai pu entendre ça et là depuis mon arrivée ici, affirmation corroborée par le Guide du Routard (pour ne citer que lui) qui, à propos de Quatre-Bornes, atteste : " Son seul intérêt : son marché aux tissus et textiles bruts". Les villes sont moches à Maurice ? Peut-être bien. Mais elles reflètent une réalité sociale et des époques, dont l'époque actuelle. C'est ainsi que le même Routard déplore à plusieurs reprises, pour Quatre-Bornes, Rose Hill ou Port-Louis, le modernisme qui y est de plus en plus criant voire criard. Alors certes, les villes ne sont pas l'élément le plus vendeur du pays, et ce n'est pas l'argument touristique phare sauf à y mentionner un bazar ça et là comme à Quatre Borne, Port-Louis ou Rose-Hill.

| "Et pourtant, les villes sont un coeur battant.

Honnêtement, je ne saurais pas forcément quoi dire objectivement pour les défendre. Par ailleurs, je ne les fréquente pas tous les quatre matins parce que je n'y habite pas et n'y travaille pas. Pour autant, dès que je m'y rends pour faire des achats, m'y balader (assez rarement), y prendre une pause déjeuner, ou bien à chaque fois que j'y suis de passage sur la route pour autre part, je ne saisis pas ce qu'elles auraient de si dépréciable. OK, l'architecture est instable, vieillotte ou a contrario très moderne, mais donc ? Dans les villes mauriciennes, comme à Delhi si j'en crois le 3ème épisode de Street Food Asia (Netflix) : l'ancien et le moderne cohabitent. De quoi temporiser cette affirmation sur la laideur supposée des villes, qui n'est qu'un mélange d'histoires, qu'un mélange d'époques. Ce n'est que le reflet d'une histoire donc, ce n'est aussi qu'un rappel du pays dans lequel on est : un petit pays, insulaire, qui n'appartient pas à la liste des grands pays développés, malgré les grands et modernes hôtels de bord de mer.

Un pays également marqué par la culture indienne qu'on pourrait qualifier de foisonnante, multiple et bien souvent colorée. À ce sujet, une expat me disait son étonnement, lorsqu'elle est venue à Maurice pour la première fois, face à l'omniprésence de la culture hindoue. Ses attentes ont été déçues car elle pensait trouver à Maurice davantage de culture créole, donc afro descendante (visible du moins - dans les arts et l'architecture par exemple). Lorsque je l'ai interrogée pour qu'elle avance un peu plus son propos, elle m'a confiée qu'elle avait du mal avec cet aspect "exubérant" de la culture hindoue. Ah !

| "Les goûts et les couleurs

S'est-elle justifiée. Oui, les goûts et les couleurs, sauf que ceux-ci sont conditionnés, et j'en ai eu l'illustration immédiate. Dans la foulée de cette affirmation, elle ajoutait qu'il lui semblait qu'il y avait un gouffre entre la tranquillité spirituelle à laquelle aspire la religion hindoue et la culture qui en découle, particulièrement l'expression architecturale et artistique de celle-ci. Ah, encore ! Parce que, figurez vous, qu'il existe bel et bien des exceptions à sa désapprobation visuelle du paysage indien présent à Maurice : les saris (certains saris du moins), la méditation et le yoga obtiennent ses faveurs. Et, après tout, ces éléments ne sont en aucun cas des éléments ultra valorisés par la culture occidentale, réappropriés même. Pour résumer : le Om c'est OK, les boutiques à la modernité vétuste, c'est pas sa came. Aucun conditionnement, vraiment aucun, dans le fait de préférer une salutation au soleil et un bol chantant dont on apprend les usages dans tout Nature & Découvertes qui se respecte, à une balade en ville sans colombages ou bâtiment haussmannien et, en plus, en désordre coloré... Tout cela n'est que le fruit de goûts et de couleurs bien anodins.

Et qu'on ne s'y méprenne pas : je ne dis pas que les villes sont magnifiques à Maurice, que je les trouve esthétiquement à mon goût. Seulement je les trouve belles car elles reflètent notamment un style et des habitudes bien différentes des miennes. Il y a pas mal de bitume et de béton dans ces villes, des immeubles décrépis, des fluctuations peu harmonieuses entre hauts bâtiments et maisons petites et écrasées. Concrètement, ce sont des éléments qui me font, objectivement, peu d'effets. Mais...

| Tout cela forme un tout

Et ce tout, je ne comprends pas l'intérêt de le regarder avec les seuls yeux de l'esthétisme. Il n'est pas indépendant du reste, au sens où l'esthétique d'un lieu, d'une place, ne peut être réduite qu'à un aspect purement extérieur. L'esthétique d'une ville c'est, selon moi, la multitude d'aspects qu'elle réunit : les gens qui la traversent, les gens qui la vivent, la font vivre, ce sont les services qu'elle offre, les animations qui la composent. Et, à Maurice du moins, tous ces éléments ne peuvent d'ailleurs pas être unifiés comme étant l'expression d'une seule et même culture. Les vendeurs de fruits à motocyclettes ne sont pas les vendeurs à la sauvette qui ne sont eux-même pas les gérants des boutiques de vêtements, n'ayant rien à voir avec la marchande de glaces, elle-même très différente de la guichetière du bureau de poste, du receveur qui fume sa clope à la gare de bus ou de la caissière de l'enseigne nationale d'électroménager. Et au milieu d'eux : les centaines de profils d'acheteurs ou de flâneurs. Cette liste pour cette question : pourquoi faire tenir une ville dans sa seule architecture (elle-même d'ailleurs plus variée que dans l'affirmation de départ) ? Et comment ne pas considérer les réalités économiques, historiques et sociales qui sous-tendent ces constructions "moches" ? Une ville c'est une ambiance, et je trouve presque malhonnête de ne pas l'estimer dans cette entièreté. Si j'en fais un article ici, ce n'est pas tant pour prendre la défense des villes face aux affirmations des méchants expats que pour montrer autre chose de Maurice. C'est parce que, par ces quelques mots accompagnés d'images, j'espère donner à voir le reste de Maurice. La Maurice qui n'est pas celle des plages, des hauteurs, de la campagne ou du bazar de Port-Louis, la Maurice éloignée du lagon et des hôtels qui ornent ses plages, hors de notre imaginaire. Et si je déclare un jour aimer Maurice (si ce n'est pas déjà fait), ses villes et leurs espaces périphériques, ou les villages des terres, y seront englobés. Je refuse de parler de Maurice en gommant cette réalité quotidienne, celle des habitants et des travailleurs. PS : puis en vrai, la seule ville au monde dont on peut affirmer qu'elle est moche, c'est Vierzon. Tout comme la seule ville dont on peut affirmer qu'elle est -très très- belle, sans aucune forme de nuance, c'est Limoges.

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